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Chronique d'un dernier voyage
Comme toute maman, ma mère aurait préféré voir rester son fils près d'elle. Mais elle respectait trop la liberté et les choix du Cap' que pour le retenir. Les visiteurs du bord de Thoè lui ramenait de temps en temps mes carnets de voyage. Ils étaient un trait d'union entre nous. Par journal interposé, elle partageait un peu le voyage. Les informations ci-dessous sont basées sur la Vérité, c'est-à-dire des faits matériels vérifiables et les informations communiquées par les médecins et les infirmiers à ma mère ou à ma famil e.
Ma mère, Madame Denise Lang-Garet (85 ans) est hospitalisée pour une pneumonie à l'Institut Edith Cavel .
En vue d'une intervention chirurgicale, Cavell mélange mes examens cardiologiques avec celles d'un autre patient (deux protocoles portant mon nom). Je subis alors un premier acte médical inutile (un ECC « pour être certain de disposer du bon tracé » me déclare une Je suis hospitalisé à Cavell (pour une hernie inguinale). Je subis un second acte médical inutile (prise de Valium non suivie de l'intervention après 3 heures d'attente). Je quitte la clinique pour ne pas m'exposer aux conséquences d'un nouveau dysfonctionnement (tous les honoraires sont néanmoins dus à une ASBL gérée comme une institution financière).
Je suis finalement opéré de façon exemplaire et sans soucis à Sainte Elisabeth.
Les médecins de Cavel confirment à ma mère qu'elle est apte à subir une opération de la hanche (il serait donc mal-venu d'invoquer l'état de santé ou l'âge de ma mère pour justifier l'issue fatale de son opération).
Contre mon conseil, ma mère se fait hospitaliser à Cavell pour l'opération de la hanche le 4 mars.
Ma mère remarque que les plateaux repas et les médicaments sont échangés entre les deux patients de la chambre.
Au pied de son lit se trouve toujours le nom du patient précédent. Après l'opération, elle se plaint des mêmes symptômes qu'en octobre 2010. Cavell la garde 8 jours de plus que prévu, sans traitement particulier, à par de la kinésithérapie et des exercices post-opératoires. J'en conclus que l'historique médicale de ma mère n'a pas pas été consultée par les médecins. Ensuite, elle part (en ambulance) en convalescence/rééducation dans une autre clinique du Chirec (Parc Léopold). Une radio des poumons est faite. Protocole : possibilité d'une embolie pulmonaire, nécessité de faire un scanner complémentaire à Cavell. Elle doit attendre 8 jours car le scanner de Cavell n'est disponible que le 24 mars.
En attendant, on lui prescrira un traitement inadapté (modification de son traitement pour le cœur Je téléphone de Grèce pour lui proposer de la transférer dans une autre clinique. Elle s'y oppose.
Le médecin lui prescrit des antibiotiques (Augmentin) pour la première fois depuis plus de 15 jours qu'elle se plaint.
Le scanner fait à Cavel confirme une grave pneumonie bicéphale. Elle entre aux soins intensifs. Le médecin fait savoir que l'état de ses poumons est nettement plus grave que son état parfaitement lucide et équilibré le laisse penser.
On l'intube et on l'endort artificiellement car ses poumons ne captent plus assez d'oxygène, même avec un masque.
On remplace l'Augmentin par un autre antibiotique.
Son état est désespéré. Elle s'éteint sans avoir été réveillée.
Se sentant bien dans sa tête, ma mère n'avait pas conscience, quand on l'a intubée le 1er avril, qu'elle ne se réveillerait jamais. Elle ne sait pas qu'el e est morte. Bruxelles, le 11 avril 2011, cimetière de Saint-Gilles. Ma Maman était issue d'une famille modeste de Saint-Gilles.
El e avait fait les Beaux-Arts. C'était une artiste. El e était à lafois un garçon manqué joueuse de hockey et tennis woman,une super-nana élégante et une tête bien faite gagneuse de tournois de bridge. Elle était toujours généreuse, souvent dureavec elle-même et parfois dure avec les autres.
El e devait avoir une furieuse envie de vivre pour être le seulenfant à naître dans un bataillon d'oncles et de tantes. C'est l'image que j'ai d'une famille que je n'ai pas réellement connue.
Il y a toutes sortes de famil es : des modèles, des clans, desunies, des toxiques, des éclatées,. Certaines se développentsur base de secrets et de conflits. La famille Garet, qui s'éteint avec Dany, était une famille morcelée, chaque morceau vivanten toute liberté dans une bulle. La famille Lang est une petite famille. Nous ne sommes quesept à porter ce nom, perdus dans la famille recomposée des amis qu'elle a réunis ici. Merci d'être venus lui témoigner votreaffection.
Comme elle, j'avais sans doute de l'énergie vitale à revendre.
Elle a profité de l'occasion pour épouser Freddy. Ensuite, elle s'est dévouée, corps et âme à son mari et ses enfants, selon lesanciennes normes. Elle ne se mettait jamais en pôle position.
El e préférait dire « ça va » que d'avouer qu'elle souffrait ou dese plaindre. Son bonheur, disait-el e, dépendait de celui de ceux qu'elle aimait. Pour un fils, c'était parfois lourd à porter,mais il y a plus de dix ans que Maman et moi sommes sereins. Vous le savez tous, Dany était une femme « digne ». Aujour-d'hui, la dignité, qui est une très belle vertu, est en voie de dis- parition du Patrimoine de l'Humanité. Après le départ de monpère, j'ai essayé de lui faire comprendre que l'on pouvait être àla fois une femme digne et une veuve joyeuse. Trouvant sans doute qu'elle avait assez donné aux autres, elle a choisi de voler seule de ses propres ailes, au centre de sa bulle. Elle ne voulait pas se voir décliner et voulait à tout prix rester autonome et active. En 2010, elle s'est vue déclinante. Elle ne cousait plus ses vêtements, elle ne cuisinait plus que pour elle et ses forces lui échappait peu à peu, sauf celle de gagner destournois de bridge. Freddy, douze ans plus âgé qu'elle, lui disait souvent de son air pince-sans-rire : « tu seras vingt ansveuve ». Il est décédé il y a dix-sept ans. Il manque donc trois ans au compteur. Elle aurait sans doute pu atteindre facilementcet objectif. Mais par ses errements, la clinique qui a mal soigné une pneumonie nosocomiale, a raboté ces trois années. A la lumière des choix de vie de Dany, nul ne saura jamais s'il faut lui en tenir rigueur. Après la cérémonie, nous vous invitons à prendre le café, car la vie continue. Elle avait horreur que l'on s’apitoie sur son sort.

Source: http://www.thoe.be/journal-de-bord/2011-04-18.pdf

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